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Une petite nouvelle que je viens de terminer ^_^ Là au moins l'histoire est terminée xD Bref, lisez et appréciez
Edit : tiens je viens de me rendre compte que ça affiche pas mes tirets xD Vous avez le fichier pdf alors à
cette adresse.
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Entretien avec un vivant
Ma vie a toujours été ce qu'il y a de plus banal.
Une enfance banale, un physique banal, des amis tout ce qu'il y a de plus d'ordinaire, bref, rien qui ne vaille la peine d'être raconté en large et en travers.
Mais d'une certaine manière, je me trompais certainement, puisque ce que j'allais vivre allait complétement chambouler ma vie.
Ce soir-là, je rentrais d'une soirée bien arrosée où moi et des amis avions fêtés les fiançailles d'un bon copain. Bon, comme je suis du genre à profiter un maximum de tout ce qui se présente à moi, j'avais certainement une bonne dose d'alcool dans le sang (ce qui était d'autant plus vrai que ma vue était trouble et que je ressentais une irrésistible envie de courir nu à travers la ville), ce qui m'obligeai à rentrer chez-moi à pied en laissant ma petite titine sur le trottoir.
Bon, je vous épargne l'épisode très ennuyant de ma longue marche à pied jusqu'à mes appartements, les poubelles renversées sur mon passage et mon petit instant de folie où je pensais qu'un horrible monstre me poursuivait à travers les rues pour me bouffer. C'est là qu'on se rend compte qu'on devient un autre homme avec l'alcool.
Mais, merci seigneur ! Me voilà bel et bien chez-moi, mon tendre appartement crasseux où les acariens sont rois. Comme je ne me sens pas encore trop fatigué, je m'affale sur le divan et allume la télévision pour me gaver d'images multicolores au contenu grotesque, comme tout le monde d'ailleurs.
J'ai soif.
Mon gosier est vraiment asséché, presque brûlant, alors je me dis « pourquoi pas un dernier verre mon petit Lucas, rien que tous les deux ? », ce que je m'empresse d'exécuter d'ailleurs en finissant une bouteille de Ricard déjà bien entamée.
Puis l'alcool aidant, je m'assoupis finalement comme un déchet, la bouche béante et baveuse sur le canapé, sombrant dans un gros trou noir dont il est impossible de s'échapper...
Un raclement de gorge.
Je me réveille en sursaut, le front en sueur. J'étais persuadé d'avoir entendu quelque chose, mais mes yeux embrumés par la fatigue ne parvenaient qu'à fixer l'écran de la télévision, toujours en marche. Je finis alors par penser que c'était un rêve et j'enfouis de nouveau ma tête dans les oreillers. Cependant, un nouveau raclement se fit entendre et cette fois, je bondis sur le sofa, le coeur battant.
Un truc sur le fauteuil, en face.
Une ombre plutôt.
Bon sang, mais c'est... quelqu'un !
A la vue de l'apparition, je pousse un hurlement d'effroi et me perche sur le divan, essayant de fuir la chose assise qui me fait face.
J'avais déjà lu des histoires de fantômes assez bizarres, où un esprit vous rend visite la nuit, paisiblement assit sur votre lit, à vous contempler, et paf ! Deux jours après, vous crevez. Et là, je dois vous avouer que j'ai commencé à entrer dans une terreur folle. C'est bien simple, je ne pensais plus, c'étaient mes instincts qui guidaient mes bras, tandis qu'un puissant son de trouille bleue déchirait mes cordes vocales.
Je fini par me cogner au mur à force de reculer précipitamment et là, silence. Je contemple la chose noirâtre, toujours aussi calme et sagement assise. Sa main droite commence alors à tapoter rapidement le manche du fauteuil, et c'est une voix chantante et empreinte de bonheur qui me parvient aux oreilles :
« C'est bon, tu as terminé ?
Je suis presque surpris que la chose parle. L'esprit me revenant peu à peu, je déglutis.
– D'accord, j'avoue, ce n'est pas très pro d'aller chez les gens à l'improviste pendant qu'ils dorment. Mais on ne m'ouvre jamais la porte quand je procède d'une façon normale.
– Et euh... Articulais-je lentement. Qui... qui êtes-vous ?
– Nous y voilà, soupira la chose. Franchement, quelle manie de tout vouloir nommer. Je ne suis rien et je n'ai pas de nom. Je sais, ça ne rassure jamais ce genre de discours, mais tu vois là, tu vas devoir t'en contenter mon vieux. Allez, assis-toi.
Obéissant bien malgré moi à l'injonction, mes jambres avancent d'elles-mêmes jusqu'au canapé, dans une lenteur presque insolente. Lorsque je suis de nouveau assis au milieu de mes coussins, je dévisage du regard la forme. Il a tout l'air d'un homme, assez grand, la peau très blanche à en juger ses longues mains noueuses détendues sur les manches du fauteuil. Tout en le détaillant, je comprends qu'il est habillé d'une sorte de bure noire et que sa capuche lui recouvre la tête.
– Si vous êtes venu me voler, je n'ai pas beaucoup d'argent, dis-je précipitamment.
– Oh tu sais, j'ai tout ce dont j'ai besoin.
– Vous êtes une... une sorte de dépravé sadique ?
L'homme rigole de bon coeur avant de se passer une main sur son visage.
– Il m'est arrivé de torturer des gens oui, mais attention : pas pour mon simple plaisir. C'était du boulot, tu comprends. Mais si ça peut te rassurer, ce genre de hobbit assez malsain est depuis longtemps terminé pour moi.
Mon coeur, loin de se calmer, bat de nouveau la chamade. Bon sang, sur quel malade suis-je tombé ? Et puis, si ça se trouve, ce n'est qu'un affreux cauchemar aux airs bien réels. Malgré la terreur que m'inspire l'homme, j'ose tourner ma tête quelques secondes vers l'horloge pour constater qu'il n'est que quatre heures du matin. Autrement dit, j'ai à peine dormis deux heures.
– Tu t'ennuies déjà ? Souffle la chose. Pourtant, ce n'est que le début des réjouissances.
– N... Non, pas du tout, tentais-je de me rattraper.
– Bon, alors c'est très bien. Je ne sais pas toi, mais j'ai soif. Je crois qu'un peu de whisky fera entièrement l'affaire.
Obéissant à la silhouette, je me dirige vers mon petit bar, mon temple de la beuverie, afin d'en retirer l'une de mes dernières bouteilles de whisky, si précieuses pour moi. Tandis que je m'exécute, j'essaye de retrouver mon calme et d'analyser la situation. Mais tout est tellement confu et irréel que je ne parviens pas à trouver d'histoire assez plausible pour expliquer la présence de ce type chez-moi.
M'avançant de nouveau dans le salon, deux verres en plus à la main, je m'aperçois que la chose n'est plus dans le fauteuil. Les yeux exorbités et les mains tremblantes, je fouille la pièce du regard et j'aperçois finalement l'homme devant mon buffet, un cadre de photo à la main.
– C'est ton amie ? Me demande la chose.
– C'est... c'était, elle est morte il y a quelques années...
Visiblement perplexe, l'homme marque une pause avant d'aller rejoindre le fauteuil pour s'y assoir.
– Quelle certitude as-tu concernant la mort, finit-il par dire.
Lui tendant un verre, je m'assois de nouveau dans le divan, le dévorant du regard avec anxiété. Qu'est-ce qu'il va encore me dire celui-là... Non seulement je tombe sur un taré, mais en plus il philosophe. C'est vraiment pas mon jour. S'attendant sûrement à ce que je relève sa phrase, mais voyant que je ne dis mot, il poursuit :
– Tout le monde craint la mort comme si c'était l'apocalypse. C'est vraiment futile.
– Vous êtes une sorte de euh, philosophe ? Balbutiais-je.
Soudain en colère, la chose se saisit d'une longue canne en bois que je n'avais pas encore remarquée jusqu'à présent pour me fracasser le crâne. J'étouffe un gémissement de douleur.
– Retient bien ceci, je ne suis pas un philosophe ! On obtient ni vérité, ni bonheur en philosophant, juste le germe de la résolution qui parasite la vie d'un homme dans sa quête de perfection désillusoire. La philosophie n'est qu'une doctrine intransigeante qui offre l'illusion de pouvoir penser par soi-même.
– Euh... d'accord, si vous voulez, répondis-je en me massant la tête.
Je n'avais vraiment pas besoin de leçons de morale ou de cours magistraux sur les choses du monde. A vrai dire, je voulais juste dormir.
L'individu acquiesça de la tête et posa sa canne en travers de ses jambes. Il porta le verre à sa bouche et but entièrement le breuvage sans marquer une seule pause. Il poussa un grognement de satisfaction et réclama de nouveau à boire.
– Où en étions-nous... Ah oui, la mort.
– Vous... vous disiez que la, la la mort était l'apocalypse pour tout le monde.
– Aaah, oui, fit la chose en prenant son aise. Pour être franc avec toi, c'est la principale raison de ma venue.
J'ouvris ma bouche en grand, comme un poisson, et l'espace d'un instant je voulu crier mais aucun son ne sortit de ma gorge. Epouvanté, je reculai imperceptiblement tout au fond du canapé.
– Vous... Vous êtes venu me tuer ! Je le savais ! Murmurais-je avec fureur.
– Mais non... Je l'aurai fais depuis longtemps déjà. A vrai dire, tu serai déjà mort, si je puis parler en ces termes. Mort dans ton sommeil.
– Bon alors qu'est-ce que vous voulez bordel ?!
Quand ça explose, ça explose. Avec son air impérieux d'être supérieur, il me gonflait vraiment depuis quelques minutes déjà. Sortant de mes gonds, je bondis hors du canapé et me dresse de tout mon large devant lui. Mais avant que je ne tente quoi que ce soit, un violent coup de canne s'écrase sur le sommet de mon crâne et me fait chuter en arrière, dans le divan.
– Il faut être patient dans la vie, dit la voix en reposant doucement sa canne sur ses genoux. Les gens sont tout le temps pressés. Il faut que ça leur tombe tout cuit dans le bec. Mais patienter à son charme, tu sais. Et surtout, ça porte ses fruits. D'ailleurs, ça me fait penser à un lointain et ancien ami qui économisait pour s'acheter un camescope dernier cri. Il a finalement craqué et a investit dans un truc bas de gamme... Le genre de gnognotte en promotion tu vois ? Eh bien, le camescope n'a même pas fait trois mois. S'il avait attendu trois mois encore précisémment, il aurait pu s'acheter ce qu'il voulait, et la qualité était au rendez-vous.
Les larmes aux yeux, je me massais la tête qui résonnait comme un tambour. Qu'est-ce que j'avais bien pu faire pour mériter tout ça ? L'individu profita de ce moment de silence pour boire d'un trait son verre et le reposer sagement sur la table. Joignant ses mains comme s'il allait prier, il soupira.
– Depuis toujours, les hommes ont dissertés sur ce qui les attendaient après la mort. D'ailleurs, la « mort » est le point de départ de toute religion. Pour les uns, c'est le paradis ou l'enfer, pour les autres, c'est la réincarnation.
– Mais où voulez-vous en venir bon sang ? Grinçais-je des dents en me frottant le crâne.
– Et toi, que crois-tu qui t'attende ? Poursuivit la chose en ignorant ma remarque.
Gardant le silence et prenant le parti de ne pas répondre, je n'aspirais qu'à une chose : que je me réveille de cet affreux cauchemar. Ce type commençait vraiment à me les briser et je n'avais pas trop d'idées sur comment m'en débarasser. Vu son état mental, je ne donnais pas cher de ma peau si je venais à prévenir la police.
– Aucune idée ? Tu es peut-être athée, fit l'individu, visiblement songeur.
– Je suis catholique, pas pratiquant, mais je crois en dieu, articulais-je sans conviction.
Le type eut alors un petit rire sardonique qui me fit froid dans le dos.
– Tu fais donc parti de la masse de moutons enclavés dans un système prédéfinit par des hommes beaucoup plus malins que toi. Je me suis toujours demandé comment les fervants défenseurs de la foi pouvaient croire à quelque chose marqué dans un bouquin. Cela revient à dire que tout ce qui est marqué dans Frankestein est vrai. Je considère la Bible comme le plus grand roman de tous les temps.
– Il y a quand même des preuves, comme des miracles, enfin je crois...
– Ah oui, les « miracles »... Rit une fois encore la chose. Ce tissu de coïncidences parfois contre-natures et qui oblige les hommes à trouver une explication logique ! Il faut parfois admettre que les choses viennent sans une apparente suite logique guidée par le destin. Regarde, il y a 2000 ans, une éclipse était un miracle, et aujourd'hui, ça n'en est plus un.
– Je ne vois pas le rapport...
– Tu devrais, ça saute aux yeux. Ce qui était miracle il y a des millénaires n'est plus de nos jours car trouvant une explication scientifique. Et pour finir, je dirais simplement ceci : la religion a été créée par les hommes, or les hommes sont imparfaits, donc la religion est imparfaite. Les gens l'ont trop dénaturée, acheva la chose sur une pointe de regret.
– Magnifique sillogisme. Bon, vous pouvez partir maintenant ?
Pour toute réponse, je reçu un énième coup de canne sur la tête et je poussai un cri de douleur presque inhumain.
– Bordel mais arrêtez ça !
– Je n'ai pas l'intention de partir, pas encore. En fait, nous n'avons toujours pas abordés ce pourquoi je suis là.
– Alors parlez-moi de la mort et cassez-vous !
– Tu ne m'as toujours pas dis où tu penses atterir après ton décès, souffla la chose.
– Nul part, la mort égal : trou noir, c'est évident non ?
– Je suis heureux que tu ne m'aies pas dis le paradis ou l'enfer. C'est une vision si manichéenne... D'ailleurs inventée par l'Eglise pour affirmer sa possession des esprits des hommes au moyen-âge. Alors, tu penses qu'il n'y a rien ?
– Je viens de le dire, vous le faites exprès ? Répondis-je, las.
– Oui, oui, je sais. En fait, depuis toujours, l'homme se pose la mauvaise question sur la mort.
– Ah ouais ? Et selon vous, c'est quoi la question à se demander ?
– Et bien, c'est simple, répondit-il la voix empreinte de bonheur. Il suffit de prendre les choses à l'envers. Sommes-nous réellement vivants ?
En l'entendant articuler la réponse, j'étouffai un rire. C'était la chose la plus absurde que j'avais jamais entendu. Si la situation dans laquelle je baignais n'était pas aussi dramatique, j'aurai certainement rigolé à gorge déployée.
– Evidemment, ça te fait rire, remarqua l'individu. C'est pourtant moins bête que ça en a l'air. Qu'est-ce qui te prouve que tu es vivant ?
– Eh bien, je vous parle, ça suffit comme preuve non ? Et puis, je peux vous retourner votre question : qu'est-ce qui prouve qu'un tel est mort ? Vous voyez, c'est débile.
– Parler n'est pas une composante fondamentale de la définition de vie. D'ailleurs, définir la vie avec un seul terme est impossible.
– Si vous voulez.
La chose prit une courte inspiration avant de se lancer :
– Rentrons dans le vif du sujet, nous avons assez trainés. Mon petit bonhomme, je suis venu te parler de quelque chose qui t'es totalement étranger. La vie.
J'attendis quelques secondes, perplexe. Ce type se fouttait vraiment de ma tronche. S'il ne m'obligeait pas à rester assis, je lui aurais volontiers décalqué la tête.
– Si vous voulez vraiment parler, autant se dire des choses sérieuses, répondis-je en haussant les épaules.
– Sais-tu pourquoi la vie t'es étrangère ? Poursuivit l'homme en ignorant ma remarque. Tout simplement parce que tu es... mort.
Cette fois-ci, j'éclatai vraiment de rire. C'était de mieux en mieux.
– Je suis sérieux, continua la chose avec un ton courroucé. Ici, ce monde, les gens, vous êtes tous morts. Pas un seul être sur terre n'est doté de la vie.
– Bien, admettons, fit-je dans un sourire. Les morts sont donc vivants ?
– C'est une façon réductrice de parler de la chose, mais d'une certaine manière, oui.
L'homme se servit un autre verre de whisky et croisa ses jambes, faisant tourner sa main en rond dans les airs comme pour expliquer quelque chose de vague.
– Tu me demandais qui j'étais tout à l'heure. Pour te répondre assez briévement, je suis une sorte de gardien veillant sur les morts.
– Bien, nous sommes morts, dis-je en rentrant dans son jeu. Pourquoi personne ne s'en aperçoit ?
– Parce que personne ne voit les choses qui crèvent les yeux. Les hommes ont préférés détourner le sujet – sans le savoir vraiment en plus – et ignorer leur véritable nature. Ils se perdent dans des explications obscures, à tenter de savoir ce qui se cache derrière la mort, alors qu'ils y baignent depuis leur naissance. C'est assez... paradoxal, et très amusant pour nous autres gardiens.
– Mais si je suis mort, je ne devrai pas ressentir de douleur, ne pas pouvoir me mouvoir, ni rien de tout cela. Franchement, ça ne tient pas debout votre truc.
– Tu fais fausse route. Tu me donnes une définition qu'ont dans la bouche tous les êtres humains, quelque chose de fabriqué de toute pièce. C'est encore une fois assez drôle, puisque vous définissez quelque chose en totale rupture avec votre véritable état.
– C'est bon, j'ai compris, dis-je en levant les yeux au ciel. Vous inversez simplement les mots. Au lieu de dire la mort, vous dites la vie, et vice-versa... Super malin de votre part.
Il sembla se préparer à me tabasser avec sa canne de nouveau, mais sembla y renoncer à la dernière minute et le bout de bois s'abbatit tout juste à côté de moi.
– Cesse d'avoir l'esprit étriqué cinq minutes et écoute ! Non, je n'ai pas inversé les termes.
– Ok, pas la peine d'être agressif... Je suis tout ouïe.
– Votre monde est celui des morts. Tu vois, il n'y a pas d'enfer, pas de démons, pas de petites flammes qui dévorent les damnés... Il n'y a ici aucun condamné, aucun élu.
– Tout le monde est dans la même galère quoi...
– Ne me coupe pas ! Et oui, tout le monde est dans le même moule. D'ailleurs, pourquoi vous imposer des bourreaux, les hommes savent très bien s'en charger eux-mêmes envers leurs semblables. Lorsque quelqu'un « meurt », deux choix s'offrent à lui : soit il a accomplit sa vie sans regrets et peut vivre, soit il décède rongé par ces mêmes regrets et se réincarne dans un autre corps.
– Il se réincarne ?
– Oui, c'est bien ce que je viens de dire. S'il meurt avec un poids sur la conscience, il est immédiatement réincarné dans un nourrisson. Bien entendu, il n'a aucun souvenir de sa vie précédente... Tout au plus aura-t-il des réminiscences de sa vie antérieure à travers ce que l'on appelle des rêves prémonitoires, ou des sensations de déjà-vu, m'expliquai la chose en agitant les mains.
– Et si on meurt sans regrets ?
– Si un être meurt sans regrets, en paix avec lui-même, alors il peut recevoir le don de la vie. Qu'est-ce que tu croyais franchement ? Qu'on donne la permission de vivre à tout le monde, comme ça ? Ça se mérite !
– Mais euh, attendez, répondis-je, perplexe. Si un criminel ayant tué des tas de personnes meurt sans regrets, il a le droit à la vie ?
– Bien entendu, acquiesça l'homme. On ne juge pas le bien ou le mal, c'est tellement infantile et propre aux morts. L'objectif est de vivre en paix avec soi-même, de s'aimer et d'avoir la conscience tranquille.
– Mais c'est dégueulasse ! Alors je peux faire toutes les horreurs du monde et avoir la vie ?
– Théoriquement, oui, encore faut-il le supporter et ne jamais douter une seule seconde que ce que l'on fait est mal pour son âme. Autant dire que c'est relativement rare... Bien que cela m'importe peu.
– C'est vraiment tiré par les cheveux votre histoire.
– Juger... C'est si facile de juger, soupira l'individu. Tellement facile qu'on porte une impression faussée neuf fois sur dix. Juger les gens, c'est bon pour les imbéciles ou ceux qui n'ont rien à faire de la journée. On s'occupe déjà de ses propres défauts avant de cracher son venin sur les autres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je t'ai choisi.
– Quoi ? M'écriai-je.
L'homme but son verre à petites gorgées cette fois, et marqua une pause. Cette attente me fut presque intolérable et je ravalai ma rancoeur pour ne pas me faire tabasser à coups de canne à nouveau.
– Tu as bien entendu, poursuivit enfin la chose. Je t'ai choisi pour cette raison.
– Je ne suis pas certain de comprendre.
– Tu devrais pourtant. Je vais t'éclairer mon ami : tu es un lâche, un menteur, un hypocrite, roublard et avare, xénophobe et raciste, un dégonflé et un crâneur, dévoré par l'ambition et assoiffé par le pouvoir.
– Euh... Je ne suis pas certain de tout ça, répondis-je très contrarié par ce tableau dépeint.
– C'est précisément parce que tu incarnes les plus mauvaises choses de l'être humain que je t'ai rendu visite. Oh, bien sûr, tu n'es pas le seul ainsi... Après, c'est une question de hasard.
– C'est du grand n'importe quoi, lâchais-je, exaspéré.
– Tu te rappelles la fois où un type t'as insulté de tous les noms, parce que tu lui avais maladroitement marché sur le pied ?
– Comment vous savez ça ?! M'exclamais-je.
– Je te l'ai dit, je sais beaucoup de choses. Bref, ce jour-là, tu étais trop lâche pour répliquer. Trop de monde autour de toi. Pourquoi se donner en spectacle ? Il vaut mieux se faire écraser... Oh ! Il y a aussi le jour où tu as gagné 130 euros en grattant un ticket de jeu. Tu as préféré dire que tu n'avais rien gagné à tes amis plutôt que de leur offrir un coup à boire... Toujours ça d'économisé, hein ?
– Vous m'espionnez !
– Pas du tout, je n'ai vraiment pas besoin de ça. Ou la fois où tu a refusé d'acheter un calendrier au facteur, parce qu'il était d'origine étrangère. On n'achète rien à ce genre de euh, « personnes », n'est-ce pas ?
– Arrêtez ça !
Mettre ainsi à la lumière mes comportements les plus bas, que je savais comme tels pertinemment d'ailleurs, me mettait vraiment mal à l'aise. Que cet individu puisse connaître autant de choses de ma vie achevait de me plonger dans un état de confusion total.
– Bref, inutile que je poursuive ces exemples, je pense que tu as compris.
Sur ces mots, il se servit un nouveau verre de whisky en faisant quelque chose qui me tétanisa : il allongea sa main et la bouteille glissa doucement au creux de sa paume, comme par enchantement.
– Hein ?! Mais comment !
La chose parut intriguée. Elle répéta la même scène tandis que mes yeux roulaient dans leurs orbites, mon cerveau en ébullition, incapable de comprendre le phénomène.
– Comment je fais ça ?
– C'est un truc de magie ! Tentais-je d'expliquer.
– Ah ah ! Répliqua l'individu, hilare. J'avais oublié, ce genre de choses inexplicables vous rend dingues, vous autres morts. Je t'assure, il n'y a rien de magique, je fais ça tous les jours. Question d'habitude, tu vois.
Indécis et la peur revenant au galop, je m'enfonçai dans le fond de mon canapé. Je commençai de plus en plus à croire que j'étais au milieu d'un cauchemar, ou alors que je devenais dingue ou alors... non, cela ne pouvait être possible.
– Tu devrais considérer notre entretien comme un honneur, ajouta la chose. C'est ta seule possibilité d'entrevoir la vérité, dans sa forme la plus pure. Bon, je te l'accorde, l'être humain n'aime pas la vérité. Il préfère entendre que tout va bien, histoire de ne pas le déranger dans ses petites habitudes... Mais quand il l'entend, ça fait atrocement mal.
– Bon... Qu'est-ce que je dois faire ?
– Tu n'as rien à faire. Seulement à entendre, mais j'espère que ce n'est pas quelque chose de trop compliqué. Je ne sais pas vraiment comment te le dire, mais profite bien de tes dernières heures.
– Que... Qu'est-ce que ça veut dire ça ! M'écriais-je.
Pour la première fois depuis notre rencontre, la chose parut gênée, ennuyée.
– Eh bien... Entendre la vérité, me voir, me parler, implique des conséquences...
– Qui sont ?
– Mon ami, tu vas vivre.
Instant de flottement.
Je le contemplai, le regard interrogateur. Qu'est-ce que tout ce charabia voulait dire ?
– Je vais... vivre ? Mais je dis déjà.
– Tss... Tu ne m'écoutes pas ou quoi ! Tu es mort ! Vivre signifie... Bon, en gros, tu vas « mourir » dans un langage très simple.
Le choc fut si grand dans mon esprit que je fus paralysé, le souffle coupé, l'espace d'un instant.
– Q... quoi ?
– C'est... Ce sont des choses étranges, même pour nous, me confit l'individu. Nous autres gardiens, nous surveillons simplement les morts. Pas le droit d'intervenir, rien. Lorsque quelqu'un décède, nous sommes chargés de vérifier s'il peut vivre. Mais parfois... enfin, il est arrivé... Qu'un message étrange tombe du ciel, nous étant destiné. On n'a jamais sû d'où ça venait, mais tout le monde sait qu'il faut obéir à ce genre de directives. Tous ces messages portaient un contenu similaire : rendre visite à une personne et lui révéler la vérité sur la mort, et la vie, puis le faire mourir quelques jours plus tard...
Marquant une pause pour vider son verre, la chose poursuivit :
– Le message disait aussi qu'une fois mort, l'individu pouvait avoir le choix entre vivre, ou retourner auprès des morts afin de leur servir de prophètes pour ensuite disparaître à jamais. La plupart du temps, les gens préfèrent vivre bien entendu, ça ne les intéressent pas de revenir dans un monde de mensonges pour devenir néant ensuite. Mais certaines personnes ont voulu changer les choses, des gens au caractère bien trempé et à l'âme brave... Jésus par exemple.
– Quoi ? Vous voulez me faire croire que vous connaissiez Jésus ?
– Euh, pas exactement, à l'époque j'étais encore trop inexpérimenté pour m'occuper de ce genre de cas. Boudha aussi. Des gens d'exception qui ont tentés de remuer les choses... Sans grand succès finalement, mais ça avance peu à peu. Tout ça pour te dire qu'il va t'arriver exactement la même chose et moi... moi je suis chargé de tout te révéler, et de faire ressortir le meilleur qui est en toi.
Incrédule, je n'arrivais plus à penser. Tout ça était tellement irréel... Mais quelque part, au fond de mon esprit, commençait à germer l'idée que tout cela était vrai, et qu'il fallait y prêter une attention toute sérieuse.
– L'amour de soi, c'est la seule et unique étape à franchir, poursuivit doucement le gardien. T'acceptes-tu comme tu es ?
– Eh bien...
– Réponds franchement, bien sûr.
– Pas vraiment, dis-je après quelques instants de réflexion.
– Je m'en doutais. Tout le monde a un côté qu'il repousse, une bribe de sa personnalité qu'il cherche à enterrer.
– Mais comment s'aimer soi-même ? C'est presque impossible.
– Mais si, répondit la chose, sinon personne ne serait dans le monde des vivants. Il faut s'accepter. Et il n'y a pas de recette miracle pour ça.
– Désolé, mais je crois qu'il y aura toujours une part de moi que je déteste, protestais-je.
– Ecoute ; l'être humain n'est, au fond, qu'un assemblage d'organes et de nerfs. Pourtant, on le perçoit comme un tout, un seul être. Pour sa personnalité, c'est la même chose : elle est composée de multiples facettes qui forment un tout... toi.
– Je n'avais jamais regardé les choses de cette manière... Murmurais-je.
– Oh, ça n'a rien de transcendant, c'est juste vrai. En voulant renier une de tes facettes, tu te trahis, toi, tu es faux. Si vraiment tu as quelque chose en toi qui te repousse, ne cherche pas à l'oublier, apprivoise-le et accepte-le. Il faut prendre ses responsabilités et parfois assumer ce qu'il y a de plus noir en nous... pour faire toute la lumière sur soi et dans son entourage.
– Désolé... Il y a vraiment des choses qui bloquent.
– Je crois savoir...
La chose se leva et se saisit à nouveau du cadre-photo de ma défunte amie, sur le buffet, avant de venir se rassoir à nouveau. Il contempla le visage souriant de la jeune fille, avant de déclarer :
– Voilà l'un de tes plus gros poids, pour ne pas dire le seul et unique qui fasse que tu ne puisses t'aimer.
Je ne répondis pas, car je savais qu'il avait parfaitement raison.
– C'est plus un regret qui me ronge, déclarais-je, ému.
– Oui oui, je sais. Si tu m'en disais plus sur les sources de ce mal ?
– Vous devez le connaître, non ?
– Il faut que tu en parles... La vérité fait mal, mais elle est bénéfique. C'est le plus grand bien du monde.
– D'accord...
Je pris une grande inspiration, avant de me lancer, piteusement.
– Ce... c'était ma meilleure amie. On... en fait on s'entendait vraiment bien. Une véritable soeur pour moi. Mes parents ne s'entendaient pas très bien, ma mère buvait et mon père était souvent absent, alors bon... C'est devenu une sorte de confidente exclusive, et ce dès mon enfance. Si je n'ai pas tourné mal, c'est grâce à elle. Et puis...
Ma gorge se serra, les larmes me montaient aux yeux.
– Poursuit, m'encouragea la chose.
– Il y a quatre ans, on s'est disputés, à cause d'une broutille... Je n'aimais pas vraiment son copain de l'époque. Enfin, on s'est vraiment fâchés. On ne s'est plus adressés la parole. Elle... Et puis... Enfin, deux mois plus tard, elle est morte, elle a été renversée par une voiture.
Cette fois-ci, c'était trop. Ces souvenirs trop douloureux explosèrent en larmes et, hoquetant, je m'avalai une rasade d'alcool directement à la bouteille.
– Elle est morte, et je ne lui ai pas reparlé. Et cette dispute... je regrette... tellement...
– C'est l'une des grandes leçons de la mort. Elle est trop courte pour que l'on puisse se disputer. Au lieu de pardonner quelques heures plus tard, on préfère attendre des mois, voir des années. Mais le temps fait son ouvrage, le destin aussi, et les choses changent, et peuvent se solder en un tragique final.
– Effectivement... Hoquetais-je. Maintenant, c'est trop tard. Si je pouvais la revoir une seule seconde... Je voudrais juste lui dire que je regrette.
– Il faut vivre l'instant présent et saisir les opportunités. Mais il n'est jamais trop tard. Que crois-tu que fut sa dernière pensée ?
– Je... J'en sais rien.
– Quand on se dispute, on dit parfois des choses qu'on ne pense pas. J'en suis persuadé, ton amie t'a pardonné.
– Vous croyez ? Répondis-je, effondré de chagrin.
– Qui aimerait quitter un monde en s'étant brouillé avec des proches qui vous sont très chers ? Personne, évidemment. Bien sûr, on ne peut pas changer le cours du temps ; la dispute reste. Mais plus que les actes, ce sont les sentiments qui demeurent.
– Vous pensez ?...
– Tu sais, ton amie éprouvait un amour fraternel démesuré pour toi. En fait, c'est moi qui l'ai évaluée. Elle éprouvait des regrets aussi pour cette dispute, mais elle savait que tu finirai par trouver la paix, que tu te souviennes des bons moments avec elle... Car les sentiments sont tellement forts qu'ils transcendent tout aspect des choses. Et, si cela peut te rassurer, elle vit.
– Alors elle est dans le monde des vivants, fit-je avec un faible sourire.
– Oui. Je n'en sais pas plus, désolé, mais voilà les faits.
– Je me sens mieux, maintenant.
– Dit-moi, poursuivit la chose. Quand ton heure aura sonnée, d'ici quelques jours, quel choix fera-tu ?
– Ça fait mal de « mourir » ?
– Tu es déjà tombé dans les vappes ? Voilà, c'est quelque chose de comparable. Un grand trou noir, puis une voix dans ta tête qui t'annonce que tu peux venir à la vie. Dans le cas contraire, c'est trou noir, effacement de mémoire puis réincarnation.
– Mais... comment est la vie ?
En entendant ces mots, l'individu eut un petite rire amical.
– C'est... différent. Un autre plan de spiritualité et d'émotions. Mais je ne saurai la décrire vraiment. Autant expliquer à un aveugle de naissance à quoi ressemble telle couleur.
– Et... le néant ?
– Un... Un grand trou noir perpétuel. On ne s'en rend pas compte à vrai dire.
– Bien...
Je sentais que ma « vie » prenait un tournant. Tout devenait plus clair, plus limpide. Jamais je n'aurai crû que cet étrange personnage allait être aussi bénéfique pour moi.
– Je crois que j'ai beaucoup de choses à rattraper. Les morts ont besoin d'un peu d'aide, ici.
– Alors... Alors tu restes ? Me fit l'individu en se redressant, apparemment étonné.
– Oui, je veux aider. Le monde ne tourne plus très rond aujourd'hui il me semble. Il a besoin de bonté...
– Et bien... Fit le gardien, assez estomaqué. Tu es la quatrième personne à qui j'accorde un entretien, et toutes ont choisies la vie. Je respecte ton choix, vraiment... Tu vois, finalement, tu as pu faire ressortir le meilleur qui était en toi.
– Je crois que je dois vous remercier. Comment ça se passera ?
– Eh bien... Tu vas mourir doucement, dans ton sommeil, et j'effacerai partiellement ta mémoire. Tu te réincarnera ensuite dans un nourrisson. Après... Ce sera à toi de jouer. »
Nous passâmes les heures suivantes, jusqu'au petit matin, à discuter de choses et d'autres. Curieusement, cette chose pour qui j'éprouvais une profonde aversion au départ me semblait vraiment sympathique les heures passants. Finalement, au lever du soleil, nous nous quittâmes en nous étreignant, comme de vieux amis. C'était quelque chose d'assez curieux.
Je passai alors le reste des jours qui me restaient à mettre un peu d'ordre dans ma vie. La nuit que je venais de vivre m'avait apprit tant de choses. Des choses fondamentales et si importantes qu'il aurait été un crime d'oublier. Je fis d'abord la paix avec moi-même ; ça, c'était vraiment important. Puis je commençai à écrire... ceci. Il me fallait absolument consigner une trace de cette nuit pas comme les autres.
Je ne sais pas en qui je vais me réincarner, mais je prie pour que ma vie puisse changer un peu les choses dans le monde des morts. Pourvu que je sois assez futé pour me rappeler de ces leçons.
Je commence à m'endormir...
Je me sens bien.